L'Homme Miroir.

 

Une interview de James Fotopoulos par Andres Komatsu. Photo Nina Le Cocq et Margot Lançon durant son exposition à The Film Gallery (Paris).

Né en 1976 à Norridge dans l'Illinois, James Fotopoulos était récemment de passage à Paris. Réalisant depuis l'adolescence des films à petits budgets (parfois même inexistants), l'absence de narration dans ses courts-métrages lui font se démarquer de ses contemporains. À travers la répétition, un réflexe typiquement humain que James met en exergue par un procédé filmique expérimental que l'on devine intentionnel dans ses projets les plus longs, le masque tombe. Dès lors, ses histoires deviennent miroirs. Des miroirs déformants reflétant le doute, l'hypothétique, l'incertain. Un labyrinthe de solitude se révèle à qui veux bien voir, faisant espérer un dénouement éclairant, salvateur. À condition d'en sortir indemne. 

1. Bonjour James, merci d'avoir accepté de répondre à mes questions.
Le public parisien à eu la chance de découvrir sur grand écran le 16 octobre ton deuxième long-métrage « Migrating Forms ». Ce film a bénéficié d'une forte exposition à sa sortie notamment suite à une projection à l'Anthology Film Archives dans le cadre du New York Underground Film Festival (2000). Dimanche dernier, tu as, lors de cette séance, parlé de la genèse de ton film, de sa nature. Pourrais-tu, pour ceux qui nous lirons, revenir sur ce qui t'a motivé à écrire et raconter cette histoire ? 

À cette époque, j’avais environ 20, 21 ans et ma principale motivation était de faire des films. Comment les faire au vu des conditions dans lesquelles j’étais. Je n'ai pas énormément réfléchi, tout a été une question d'énergie et de savoir comment s'en servir. Sur la post-production de mon premier long-métrage Zero, j’avais continuellement à l'esprit une image en noir et blanc d’un homme dans une pièce clairsemée et cette scène se répétant. Puis une femme intervient et leur interactions s'intensifient, deviennent plus complexe. J’ai continué à visualiser l'image de cette scène. Je l’ai ensuite écrite, storyboardé les scènes, esquissé quelques créatures puis commencé à organiser la production.
 L’atmosphère (de ce film) est probablement venue de ce que j’ai ressenti en visitant l'appartement, les couloirs, la lumière, les sons, l'ambiance de la ville à ce moment précis. Les maquillages/effets spéciaux sont certainement l'expression d'un intérêt du point de vue émotionnel. Être en mesure d’être perçu comme une image dans cet espace dans lequel je tournais. À cette époque, les films que je faisais se nourrissaient les uns les autres. Durant la post-production de Migrating Forms, j’ai tourné au même moment Back Against The Wall, commencé à travailler sur Christabel et ESOPHAGUS. Dans tous mes films, encore aujourd'hui, il y a une graine d’idée ou une image, qui ensuite sera amenée à fusionner avec une autre image ou série d'images, puis la production devient une exploration de l’image initiale.

L'économie de moyen, la liberté de ton, le fait d'avoir tourné si rapidement m'a fait pensé au cinéma guérilla. Est-ce qu'on peut affirmer d'une certaine façon que ton film appartient à cette mouvance ?

 Le cinéma guérilla est un terme utilisé à une époque pour définir certains films. La production de mes films peut être considérée comme telle. Pour autant, je ne me considère pas personnellement comme faisant partie d'un mouvement. Quand je pense à ce terme aujourd'hui, il se réfère à un type de cinéma "mécanique". Au fait de produire avec des machines, par opposition à un cinéma fait avec des ordinateurs comme c'est le cas aujourd'hui avec l'utilisation des nouvelles caméras .

L'économie de moyen, la liberté de ton, le fait d'avoir tourné si rapidement m'a fait pensé au cinéma guérilla. Est-ce qu'on peut affirmer d'une certaine façon que ton film appartient à cette mouvance ?

 Le cinéma guérilla est un terme utilisé à une époque pour définir certains films. La production de mes films peut être considérée comme telle. Pour autant, je ne me considère pas personnellement comme faisant partie d'un mouvement. Quand je pense à ce terme aujourd'hui, il se réfère à un type de cinéma "mécanique". Au fait de produire avec des machines, par opposition à un cinéma fait avec des ordinateurs comme c'est le cas aujourd'hui avec l'utilisation des nouvelles caméras .

2. Tu as passé deux semestres à étudier le cinéma à l'université de Colombia avant de finalement abandonner ce cursus. Lors d'une interview tu as dit la chose suivante « Columbia was just a brutal place [...] They just beat down and crush other people with their low self-esteem…». Est-ce que cette mauvaise expérience passée au sein de cette institution a eu des répercussions sur la manière de travailler tes films ?

Je n’ai pas nécessairement vécu une mauvaise expérience . Les deux
courts métrages que j’y ai fait ont été plutôt bien reçus. L’un a même remporté un prix à la fin du semestre. Je pense que le type d’énergie que j’avais et le fait de savoir ce que je voulais faire ne correspondait pas vraiment avec l'école telle qu'elle était structurée. Je n’ai donc pas réagi.

3. En février dernier, l'écrivain américain Dennis Cooper a partagé sur son blog un article d'Ed Halter te concernant. On y découvre que tu as grandi non loin du célèbre tueur en série John Wayne Gacy*. Quand je repense à « Migrating Forms » mais aussi à « Back against the wall » il y a quelque chose de l'ordre du grotesque, du monstre derrière l'humain. J'aimerai savoir si tu l'avais déjà croisé et si, inconsciemment, tu penses qu'avoir évolué à côté de ce que l'on pourrait appeler un « cheptel de la mort »  a eu des effets, des conséquences sur ton travail d'artiste, ta manière de voir le monde ?

J’étais un enfant à l’époque et je ne l’ai jamais rencontré, mais des gens autour de moi l'ont connus, notamment des membres de ma famille. Je ne peux certifier que cela a eu des effets direct sur moi. Mais peut-être dans ma  jeunesse ai-je marché dans le terrain vague situé en face de chez lui. Ce genre d'expérience peut vous faire prendre conscience d’une atmosphère, ou vous faire comprendre que l'horreur peut apparaître dans le quotidien, de façon presque banale.

4. Dans plusieurs de tes œuvres, notamment dans ton exposition qui s'est déroulée à The Film Gallery j'ai remarqué que tu travaillais la répétition , la boucle temporelle, qu'elle soit subtile ou franche. Comment en es-tu venu à en faire un sujet ? 

En 2005, on m’a demandé de faire une installation pour une biennale et c'est devenue The Mirror Mask. À cette époque, mes films  étaient présentés dans des musées ou des galeries. Je venais du milieu cinématographique, je ne connaissais donc pas le monde des galeries. Ils choisissaient des films et les projetaient en boucle. Personnellement, je ne me soucie pas de l’endroit où sont montrés mes films. Tout pour moi est comme un film. Ils peuvent être montrés dans des théâtres, des galeries, des ordinateurs, peu importe. Dans le cas de The Mirror Mask, on m’a donné un espace réel pour faire un film. Ainsi, comme dans une fiction, il y a une progression de l’image par la façon dont elle est composée, montée, le mouvement de la caméra ou comment les acteurs sont bloqués, conduisant les spectateurs à faire un bond en avant. J’ai donc travaillé à la fois avec cette idée comme si j'en faisais une œuvre du début à la fin, les images créant une progression et fusionnant ensuite avec une structure d’imagerie pouvant tourner en boucle, comme un cercle.

5. Tu as souvent travaillé sur plusieurs projets en même temps, une forme de boulimie artistique si l'on veut (dans le bon sens). Pourrais-tu en dire un peu plus à ce sujet ?

Travailler sur plusieurs projets est tout à fait naturel pour moi. J’ai toujours été comme ça. Dès le début, j'en suis venu à créer une structure ou un système me permettant de travailler ainsi.

As-tu de nouveaux films en prévision avec Fantasma (ta maison de production) ?
Oui, je travaille actuellement sur un film que je tourne par tranches depuis 2020 et aussi sur un long métrage que j'aimerai réaliser l’été prochain. Quelques films sont également en développement.

As-tu envisagé de produire pour d'autres ?
Oui tout à fait, je suis intéressé à l'idée de produire les œuvres d’autres artistes.

Tu es resté quelques jours à Paris, en as-tu gardé un bon souvenir ? 
J’ai passé un moment merveilleux à Paris. J’ai beaucoup aimé travailler avec Nina (de The Film Gallery) sur la projection de mon film ainsi qu'avec l'équipe du cinéma L'Archipel


*John Wayne Gacy Jr. est un tueur en série américain (souvent cité dans la pop culture) surnommé le « clown tueur » du fait qu'il se déguisait en clown pour amuser les enfants dans les hôpitaux. Le claviériste Madonna Wayne Gacy (ancien membre du groupe Marilyn Manson) s'est nommé ainsi en référence au tueur.

 
 
 
 

L’Homme Miroir. Itw de James Fotopoulos par Andres Komatsu

L’Homme Miroir. Itw de James Fotopoulos par Andres Komatsu. Photo Nina Le Cocq et Margot Lançon durant son exposition à The Film Gallery (Paris). Né en 1976 à Norridge dans l’Illinois, James Fotopoulos était récemment de passage à Paris. Réalisant depuis l’adolescence des films à petits budgets (parfois même inexistants), l’absence de narration dans ses courts-métrages lui font se démarquer de ses contemporains. À travers la répétition, un réflexe typiquement humain que James met en exergue par un procédé filmique expérimental que l’on devine intentionnel dans ses projets les plus longs, le masque tombe. Dès lors, ses histoires deviennent miroirs. Des miroirs déformants reflétant le doute, l’hypothétique, l’incertain. Un labyrinthe de solitude se révèle à qui veux bien voir, faisant espérer un dénouement éclairant, salvateur. À condition d’en sortir indemne. Andres Komatsu est graphiste et réalisateur. Découvrez d’autres de ses articles . L’Homme Miroir. Itw de James Fotopoulos par Andres Komatsu

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