TUNIS 2.0

Texte et photo : Julien Rubiloni

 

Le texte est un extrait de Tunis, journal et l’image provient du film Black Knights Of Tunis

 

Chambre asphyxiée, vice dans l’air : l’odeur d’une nuit longue. Le sexe colle aux draps, les draps collent à ma peau, je suinte toute entière, transpiration existentielle qui excite mes sens. La chaleur d’Août, les murs semblent noircis, ma vision l’est aussi, pupilles en redescente, un rayon de soleil transperce les volets, mes yeux s’ouvrent à moitié, et mon cœur : j’ai mal à l’intérieur, je suis parti trop loin, tornade de chambre.

J’étais rentrée hier soir sur les nerfs, en lambeaux, brisée, corps dévasté, et maman avait remué le couteau dans la plaie reprochant mon comportement. J’avais alors tourné la clef prétextant une migraine et je m’étais collé le timbre en entier sous la langue. Mon corps avait commencé à fondre, la sensation d’enfermement dissipée lentement, au bout d’une heure la pièce ne faisait plus partie de moi.

Envol, dissipation, je plane au-delà de ma douleur, m’immisce dans les tréfonds, je m’enfuis, élabore un schéma, ma conscience tergiverse, je pointe du doigts un nœud en deçà de ma structure capricieuse, je reformate ma condition, au-delà. Des questionnements purs m’animent et ravivent l’angoisse savamment enfouie dans les strates à ne pas découvrir, archéologie de l’intime, tectonique viscérale, anéantissement du vide : des couleurs se libèrent, je flotte dans le grand Tout et je fais mon possible pour ne pas que mon cœur rompe. Les pensées s’interrompent.

Maman frappe à la porte. Ma chérie ? Je suis dans ma rivière, portée par le courant, submergée par les flux, je m’inonde. Des poissons langoureux m’encerclent et me font corps, sensualité sous-marine, je nage ou je patauge, hésite, me love dans le mouvement, file au flot, tachycarde et trébuche, m’engouffre dans des grottes invisibles, m’écorche aux parois, me saigne, plonge et replonge dans des cavernes aux échos infernaux, refait surface à la lueur d’une aube matinale nouvelle inespérée. Animal inconnu.

Ma chérie ? Je suis là.

..

Hier.

La dentelle sur mon corps à moitié juvénile mais qui sait la jouissance. J’ai mis un pantalon par-dessus ma jupe courte, et un sweat pour couvrir mes tatouages. Juste un peu de maquillage, je finirai plus tard.

Maman m’aime et me croit, toujours enfant, toujours à elle, de surcroit. Tant mieux.

Face au miroir, face à l’écran, j’explose mon surmoi, une dernière photo et je m’éclipse : mon ça en extase. Je veux baiser le monde.

Papi gâteau m’appelle sur les réseaux, lui envoie le cliché juste pour l’attiser : il m’a promis un nouveau téléphone.

A peine l’argent pour le taxi, je pique 20 balles dans le sac de maman. Ce soir O sera au bar, il joue plus tard dans un club et a besoin de se chauffer. Je sais qu’il compte sur moi car ma présence l’apaise, je sais aussi qu’il sera accompagné de A. Elle fait un reportage je crois, ou elle est étudiante, j’en suis jalouse : O est le roi.

La rue est sombre, je déteste cette ville, tout le pays d’ailleurs. Une bande me dévisage et me jette des mots sur mon passage. Non je ne fais plus partie du paysage. Je me sens toujours menacée lorsque je marche seule. Mais la nuit la pression augmente, tout mon être tremble lorsque j’aperçois des silhouettes au loin, surtout des « hommes », d’où mon attitude violente, par protection. Ça me met en rage. Pourquoi se sentir en danger ? pourquoi ne pas pouvoir marcher tranquille, évoluer en paix ? Insulte, injuste, un jour je me casserai. 

Heureusement j’ai les écouteurs bien accrochés, quand la musique m’inonde et me donne la force d’avancer je suis inarrêtable, transportée dans un autre monde, sensible, libre, ouvrant tous les possibles et repoussant leur agressivité passive et impuissante. Prostrés, frustrés.

J’espère qu’un taxi sera libre. Lumière rouge, je lève le bras. Encore un vieux à l’air faussement perdu. Il me lorgne du coin de l’œil : j’ai des trous dans mes collants, du rouge aux lèvres et mes ongles noircis. De la chair fraîche et impure se dit-il, qu’il essaie un peu et je lui plante mes griffes dans sa figure hideuse toute estropiée, jusqu’au sang. Il essaie d’engager la conversation, je me tais. Qu’il aille au diable.

Il me faut quelque chose, juste un morceau, pour m’échauffer, reprendre un rythme convenable, sentir mon cœur, mon corps, oublier. Je m’étais promis d’arrêter les substances mais de toute façon j’ai raté mon année.

Toute cette vie n’est qu’un grand rattrapage. Je fouille avec mes doigts, un bout d’ecsta au fond de mon sac, je le colle entre mes dents à côté du chauffeur, ce vieux salaud. Je m’adoucis. Placebo.

..

Même s’il me connaît le vigile à l’entrée du bar me demande ma carte d’identité. Je suis à peine majeure et déjà calcinée. O est là avec S D et N, A est là aussi, Z nous rejoindra. I.el.ls rient. I.e.lles ont commandé une girafe. Je serre les dents pour approcher. Le bar est plein et la chaleur immonde, je colle.

20h passé, le club est encore vide, seuls les habitué.e.s et 2 flics en civil qui nous scrutent déjà. Tout est prêt et on commence à envoyer. S nous a fait la surprise, un.e ami.e lui a ramené un cadeau de voyage : la K. Ce soir promet d’atteindre les sommets. Tout brûler, danser jusqu’à perdre la tête, et perdre la tête jusqu’à ne plus penser. Nos corps transcendés. Impact.

..

Rouler vite sur la 2 voies, fenêtres ouvertes et poste à fond. After. Sur le chemin nous rencontrons B et N, à pied car tous fauchés : i.el.ls peignent, expérimentent, nous alimentent. Créatifs exacerbé.e.s, le génie nait dans la poussière. Les chauffeurs les interpellent, i.el.ls évitent les barrages, les naufrages, gravitent, en roue libre. Poppers au volant. After.

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Métempsychose /

Mercenaire contre l’autorité puante, le chien sauvage est sans limite, poignée de poussières dans un terrain vague nous sommes nuage, évoluons en meute, unis et forts car inorganisé.e.s, imprévisibles, survolté.e.s, notre rage vient de notre sensibilité, nous intervenons là où personne ne nous attendait, nous sommes jeunes beaux et défoncé.e.s, uniques, nouveaux, indescriptibles et inapproprié.e.s, curieux.ses, envié.e.s, exceptionnel.le.s, irrationnel.les, nous avons tout explosé. Nous savons prendre du recul et nous documenter. Ironiques, nous avons transgressé les codes pour nous réanimer, tué.e.s dans l’œuf avant d’éclore et de vivre asphyxié.e.s, plus nous mourons plus nous ressuscitons, endommagement nécessaire lorsque le cas nous désespère, nous devons, massacrer en nous les racines de leur massacre, extraire la sève empoisonnée par un poison plus puissant afin d’y empêcher : un génocide. Se battre contre des fantômes, les nôtres, les leurs, ceux qui nous hantent, terre dévastée, hostile, manoir terrifiant où le train des créatures morbides veut nous voir brisé ou nous savoir contaminé : épidémie sordide car nous en sommes les fruits. Et le ver est avide.

/

Comment j’ai dilué ma vie, comment j’ai, inhalé le solvant pour enlever la couche de vernis inutile à la surface de mes parois, comment j’ai, gratter encore et encore chaque couche superficielle d’une peinture inadéquate, comment j’ai désossé, décodé, permuté pour retrouver en moi la pureté abrasive, comment j’ai tué par la chimie pour oublier les noms et les surnoms de mes ancêtres au réels illusoires.

Comment j’ai, retrouvé la source, retrouvé le jour, vu le noir en face, l’or pur, la crasse, la lumière blanche, le Crystal, le chaos : embrasser l’insondable, l’inaudible, l’éternel pour renaître à moi-même ou me perdre en beauté. Éclatée.

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Douleur douleur douleur, enfantine, je suis l’enfant blessé, sans attribution officielle, j’ai cherché longtemps, j’ai trouvé et je cherche encore, je résiste à coup d’ecsta à coup d’éclats à la lueur d’une grâce ultime qui me donne et me permet, d’être et d’avancer, de chuter, avec plus de beauté et de fracas qu’une morne existence déjà pesée, je dévie et me surprends moi-même, suscite l’incompréhension incompressible lorsque je me libère. Je suis légère comme une montée de substance comme une entrée en matière je suis à l’opposé, ce que l’opaque est à l’opiacée.

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Apocatastase //

« Orgie » baise no future explosion volcan destruction tétanique. Mise à mort orgasmique. Son membre est dur et d’une odeur pestilentielle, des peaux blanchâtres à la surface, des rougeurs sur le gland. On m’a dit de faire attention, on m’a dit mais le désir est trop puissant. Baise baise VIH. A est sur le dos, la bouteille de diluant dans sa main droite se vide sur le tapis. Toxic. N me regarde avec des yeux étrangers, des pupilles énormes, le feu déborde, un feu chimique, trouble et ses paupières déborde sur les miennes, il tend la main et m’immobilise au cou, étranglement générationnel. O est à terre inanimé les membres flasques bave aux lèvres, la pensée m’effleure à peine mais je ne m’appartiens plus, mon corps dans le matelas, mon corps matière blanche effluve une pierre un amas, je suinte un fluide visqueux, noir un peu vert la couleur du chaos, des cris, et A jouit dans ma bouche à l’aura dynamite.

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Danse vulgaire dans l’océan maladif de cette vie que je hais. Je n’entends plus les oiseaux dans ma chambre ahurie. Seul le chat me répond et je le considère.

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« Ton Dieu et mon Dieu ont baisé la nuit dernière, leur beauté éclaira mon matin, ta nuque endolorie se souvient du combat inconscient, ton membre courbatu sa fréquence sans retenue. Ton Dieu et mon Dieu ont les yeux purs surtout après l’amour, dans l’effluve encore brûlante de leur dernier combat, ils se caressent suant et frémissant et là décident enfin de notre prochain discours. »

///

Nous étions 6 je crois, mais au petit matin la chambre est en désordre et O ne bouge plus.

Quelque chose s’est brisé, irrémédiablement, et le cœur n’y est plus, comme un arbre de résistance qui a séché sur place. Le sol est dur et aujourd’hui encore il ne pleuvra pas. J’entends la porte qui claque, Maman part au travail.

Bad to the Bone - TUNIS 2.0 - Soleil Noir, TUNIS 2.0, Bad to the Bone

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