Never kill a boy on the first date, le vrai du faux



Texte Léonard Adrien
Oeuvres Corentin Darré

Entre rêve, jeu vidéo, mythe et réalité, Never kill a boy on the first date, la première exposition solo de Corentin Darré, s’amuse à troubler nos perceptions et schémas de représentation. Dès la transformation de la vitrine de la galerie du Crous, premier des quatre espaces de l’exposition, nous nous engageons dans l’univers singulier de l’artiste. Un univers dont l’esthétique nous interpelle par son kitsch et ses multiples références qui portent l’empreinte culturelle des années 1990. Entre sub-urbanité, reconstitution médiévale et gaming, chaque références convoquées le long de l’exposition est invitée à se présenter à l’entrée. Ce doux mélange d’univers dans lesquels l’artiste et la génération des millénials ont baigné seront le contexte d’une exposition subjective, ou plutôt « auto-fictionnelle ».
Dans une sorte frontyard pavillonnaire, éclairée par la fausse chandelle ardente d’un candélabre aux allures de lanterne moyenâgeuse, le visiteur fait sa première rencontre avec le protagoniste de l’exposition. Dunstan, personnage tridimensionnel fortement inspiré des traits de l’artiste, arbore une armure de chevalier. Il nous guidera tout au long de l’exposition, tel l’avatar d’un jeu vidéo. Il nous invite dans un premier temps à nous asseoir sur la pâle copie d’un tronc d’arbre couché sur un tapis d’une herbe toute aussi factice. Assis sur un arbre similaire, le protagoniste se pose en miroir derrière son écran. Somme nous dans le jeu vidéo ? Sommes-nous les joueurs ? Est-ce le jeu qui devient réalité ?

Au fil de l’exposition nous comprenons que les œuvres, à première vue sorties tout droit du Puy-du-fou ou d’une fête des remparts, ne sont pas des copies de la réalité, mais la concrétisation dans le réel de ce que les jeux vidéo nous donnent à voir. Plus que de créer des illusions du réel, par cette mise en abîme, Corentin Darré nous trompe en inversant la relation entre le réel et sa représentation. Si l’on considère la représentation artistique comme une falsification du réel, la proposition ici est à l’opposé. Comme pour rendre grâce au jeu vidéo souvent réservé au stade de sous-culture, l’artiste le donne à voir ici comme le summum de la réalité, en inversant le rapport réel-fiction.
Entrés dans ce jeux vidéo, il nous faudra franchir des niveaux, il y en a quatre, deux à chaque étages. Mais quels sont-ils ?
Prétextant une nouvelle lecture de légende de Dunstan de Cantorbéry, Corentin Darré fait de la souffrance imposée au diable par le maréchal-ferrant, une relation homosexuelle tumultueuse. L’avatar des vidéos est donc un homme ayant souffert de son amour porté à un autre homme. Sans reprendre la légende au pied de la lettre, on retrouve dispersés tout au long de l’exposition des éléments de lecture de cette dernière, des pieds crochus fixés et cadenassés au mur, de la potence à la queue du diable. L’avatar de la vidéo peut selon les salles être à la fois perçu comme l’un ou l’autre des personnages de la légende.
Ainsi par un triple saut périlleux tartare de fraise, Corentin Darré nous propose et c’est le sujet central de ce travail, de franchir avec lui les quatre phases du deuil amoureux. L’attente, la colère, le désespoir et la libération prennent successivement place dans les salles de la galerie. Chaque vidéo présente le personnage dans des contextes qui varient selon ses états d’âme. On le retrouve assis sur un tronc d’arbre, entouré de flammes, dans une taverne ou dans le ciel. De ces vidéos un certain nombre d’éléments semblent s’être fait la malle pour scénographier les espaces d’expositions, la modélisation devenant à nouveau réalité.
Ainsi de la frontyard qui illustre l’attente nous sommes guidés vers la colère. Les flammes qui entourent Dunstan dans une vidéo, porté par une charrette à échelle 1, sont prêtes à embraser la paille étalée au sol. Les éléments de torture et la lumière rose qui se dissipe des portes emmurées ajoutent, au langage médiéval du lieu, la connotation érotique d’un donjon SM, sous l’égide du héros, dont un tapis à l’effigie orne le mur. À l‘egotrip de la tapisserie bon marché en polyester et la colère advient le désespoir de la taverne, une salle plus sobre, pour une ivresse plus douloureuse. Des cornes à boire remplies de sang sont posées à même le sol, comme abandonnées par de nombreux solitaires. Enfin dans un élan de joie, la libération se fait par un écran porté par des ailes, les allures sombres et la lourdeur moyenâgeuse des trois premières salles laissent place une esthétique plus légère et pop, l’être aimé n’est plus mais la beauté de cet amour persiste.

Il serait possible de totalement passer à côté du sujet de l’exposition si cette dernière n’était pas accompagnée des textes écrits et lus par l’artiste. Audibles par des casques à proximité de chaque vidéo, ils permettent d’entrer totalement dans la fiction ou de décider de ne pas le faire. Ne pas rendre évidente la présence de ces textes est peut-être intentionnel, si oui ça fonctionne. Comme une forme de pudeur, l’écoute de ces textes par le biais des casques offre au spectateur un moment privilégié et intime.

Il y aurait une possible confrontation entre l’humilité de l’auteur envers son sujet et les multiples représentations qu’il fait de lui-même à travers Dunstan. Mais bien qu’inspiré de son physique, il ne s’agit que d’une représentation non conforme de la réalité, au même titre que la voix, modifiée et rendue synthétique, le sujet et les phrases prononcées ne peuvent ainsi qu’être une falsification de la réalité. Par sa « presque » voix, sous sa « presque » image, l’auteur nous raconte sa « presque » histoire.

Bad to the Bone – Never kill a boy on the first date, le vrai du faux – Texte Léonard Adrien, Oeuvre Corentin Darré

Bad to the Bone has been founded and is published by Hervé Coutin

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