Méta-amorphose.
Œuvres : Mikhael Loomis, texte écrit par Manon Schaefle.
Méta-amorphose.
– Nelle est devenue si étrange. Je ne la reconnais plus. Elle, petite, si angélique… ! Elle est complètement amorphe, vicieuse et cachottière. Le médecin dit que c’est la faute des hormones. Mais je crois qu’il y a autre chose… Nelle me fait peur.
Ce qu’il ne voyait pas, ce qui glissait dans les crevasses de son entendement comme un ver fuyant son prédateur – ou qu’elle ne lui laissait pas voir, c’est qu’elle était à la quintessence de sa puissance.
Entre les murs de sa chambre, Nelle se tord, explose, déborde et gémit de ce qui lui arrive. La vie jaillit dans ses muscles, prend possession de son imaginaire et tous ses fantasmes. Une extase de chair sans borne, qu’elle compte bien prolonger par la pratique, par l’expérimentation des possibilités de ce nouveau corps.
La cage thoracique prête à craquer, des papillons aux extrémités des membres, le ventre gorgé d’une chaleur intenable… Elle crèverait de rester immobile.
Nelle dévale les escaliers, s’échappe par la fenêtre, s’écoule par les canalisations, à l’assaut d’elle-même…
Ces créatures sont trop dégoulinantes.
Des parasites prêts à tout pour vivre, qui se développent autour de déchets métalliques, aspirant les énergies invisibles qu’ils dégagent encore dans l’obsolescence. Leurs corps naissent ainsi de la matière qui se régénère, s’étale et bifurque dans des sens non-prémédités. Des monstres de projections, de désirs bouillonnants, de mutations créatives.
L’humain y dévie de son apparence normale. Vers des morphologies inconnues, non répertoriées, insaisissables et en même temps surpuissantes. Elles ont arraché leurs formes pleines de caractère à un magma de substances brutes, de pièces détachées et déchues, les ont revitalisées.
Les oeuvres de Mikhail Loomis ont les traits les plus dérangeants de la puberté, comme un âge ingrat exacerbé. Elles évoquent les organismes en crise qui débordent de partout, dégueulent de sécrétions obscènes (sébum, menstruations, foutre, déluges lacrymaux, sueur malodorante, orgies de salive, apparition des poils pubiens, formation de masses graisseuses…)
L’« âge bête » s’y donne à voir comme ce qu’il est réellement : un flamboyant devenir animal. Les attributs sexuels prennent des proportions démesurées. Des corps entiers qui deviennent sexes. La carnation grisâtre initiale de la peau se gorge sous nos yeux de violet pourpre, comme en proie à des coups de sang revigorants. Les tripes de la vie sont foutues à nue, organes retournés vers l’extérieur, joyeusement écorchés. Comme pour rendre à la lumière, palpables, les signes d’une transition biologique et psychique d’habitude dénigrée, cloîtrées dans le cachot des choses honteuses.
La méta-amorphose, c’est la fluidité, le mouvement joyeux. Naviguer dans les extrêmes, éprouver sa sensualité et laisser son seul désir forger sa plastique.
La forme stable, canonique, est abjecte pour l’organisme qui vient d’éclore et exulte. De même avec les créatures de Mikhail Loomis les formes sont fugueuses, l’art de la sculpture en rébellion.
Sublimes, qui s’aiment qui s’aiment qui s’aiment – sales de tant d’amour, ces monstres carnés ont néanmoins des airs peu commodes et à la fois craintifs. Comme s’ils hurlaient par l’intermédiaire de leur corps de ne pas les approcher, sentant rôder les âmes sèches et assoiffées qui veulent briser leur libido et puis leurs os, et leur coeur, injecter leur poison de désarroi mortel.
Vitalité, vitalité, vitaliser.
