MEMORIES FROM THE FUTURE
Chez Mihai Grecu, les images ne documentent pas : elles hantent. Issues d’une mémoire fragmentée, filtrées par les outils de l’intelligence artificielle, elles composent un espace mental où l’histoire, le pouvoir et l’idéologie s’entrelacent dans une boucle sans fin. En puisant dans les esthétiques du totalitarisme d’Europe de l’Est, l’artiste ne cherche pas à reconstruire le passé, mais à en montrer la survivance – ses formes recyclées, sa logique infiltrée dans nos réalités contemporaines.
Né dans la Roumanie de Ceausescu, Grecu a connu l’imagerie de propagande dans sa forme brute : non pas séduisante comme la publicité, mais autoritaire, sacrée, saturée de symboles politiques. C’est cette imagerie idéologique – dévotionnelle, militarisée, rigide – qu’il réinjecte aujourd’hui dans des visions dystopiques où chars d’assaut portent des sanctuaires, où des églises montées sur chenilles dérivent à travers des plaines vides. L’absurde n’est jamais gratuit : il est la forme visuelle de l’aliénation.
L’intelligence artificielle, dans cette démarche, n’est pas un gadget ni une simple technique. Elle fonctionne comme une mémoire hallucinée, un simulateur idéologique. Elle permet de générer, de manipuler, de transformer les symboles politiques comme autant de fragments flottants, prêts à se recombiner sous de nouvelles formes. En cela, Grecu explore une vérité fondamentale de l’Europe post-soviétique : le totalitarisme ne disparaît pas, il change de peau. Il ressurgit dans les discours nationalistes, les mythologies identitaires, les reconstructions falsifiées du passé.
Les paysages numériques de Grecu, souvent désertés, évoquent un continent en veille, où les ruines de l’histoire sont encore actives. Ce ne sont pas des ruines mortes : ce sont des structures réanimées, qui circulent, parlent, commandent. Et c’est précisément là que réside l’angoisse sourde de son œuvre : dans cette idée que la guerre – idéologique, symbolique, parfois réelle – n’a jamais cessé. Elle est présente, diffuse, parfois sublimée, mais toujours prête à resurgir dans les corps, les machines, les esprits.
L’Europe de l’Est, dans cette lecture, devient un territoire spectral, traversé de contradictions, de nostalgies toxiques, de réminiscences inavouées. Grâce à l’IA, Grecu ne cherche pas à « prédire » l’avenir, mais à montrer à quel point il est déjà hanté par un passé non digéré. Le futur, ici, est une boucle — et l’image une arme à double tranchant.









