Le Festin des Porcs
Le Festin des Porcs deuxième roman de Yannick Bouquard, paru chez Goatier Noir en 2022. Entretien Andres Komatsu
La radicalité est une notion à la fois stigmatisante et estimable, hautement politique, souvent utilisée à des fins distinctives, traduisant une volonté de “manquement à la règle”, d’infidélité oh combien salvatrice en cette époque qui pourtant est loin d’être aussi sclérosé qu’on voudrait bien nous le faire croire.
Dans « Le festin des porcs », Yannick Bouquard nous force à souffler sur les braises d'une insurrection galopante, à nous ranger du côté des faibles, des impuissant(e)s
(loin de la caricature de l'empowerment qui nous est soumis chaque jour), à réévaluer le subversif, allant jusqu'à lui trouver grâce.
Cachez cette rage, cette frénésie que les précieuses ridicules ne sauraient voir auraient pu ajouter Goater Noir en quatrième de couverture, éditeur.trice.s déjà de l'excellent Rennes No(ir) Futur paru en 2020.
Polar à mille lieux d'être équivoque, il est une balle tirée à bout portant en direction du capital. La pensée bourgeoise, elle, enfle, se reproduit, jouant la carte de la respectabilité et du bon sens tandis qu'au même moment elle brime, maltraite, sous-traite. Tous les porcs de la société semblent avoir été contaminés. Une société qui ne sait plus comment ni quoi contenir, museler, attacher comme on attache un sanglier à un piquet.
Dans les entournures, une pudeur, quand d'autres y verront un banquet de vulgarité crasse.
Une bombe à mettre entre toutes les mains, pourvu qu'elle explose.
Bonjour Yannick. Merci d'avoir accepté de répondre à mes questions. J'ai pris un énorme plaisir à lire ton roman bien qu'il m'ait paru, sous bien des aspects, troublant voir séditieux.
Comment en es-tu arrivé à raconter ces histoires qui constellent ce polar parfois noir, souvent excessif et ultra référencé ?
Salut et merci ! On ne peut pas dire que j'ai décidé d'écrire ce roman tel quel ou d'écrire un polar. Il y a une idée, des personnages, une impulsion et l'envie d'expérimenter une forme ; peu à peu une cohérence émerge. Le texte a alors pris la direction d'un polar, teinté de dystopie, de pamphlet.
Néanmoins, il y a une ou des genèses. En l’occurrence, ici, mon inspecteur. Archétypale dans la mesure où il répond aux codes du roman noir. Il y a dedans du Mickey Rourke dans L'Année du dragon de Cimino, du Eugène Tarpon ou du Rick Deckard. Je voulais m'amuser avec ce personnage.
Et puis, il y a de la rage. Beaucoup. Ce texte est une réponse à l'impunité, désespéré cependant. Il ne pouvait qu'être noir. Il est excessif, mais je ne sais pas de quelle autre manière survivre dans cette époque dénuée de toute poésie.
Qu’est-ce qui t’a amené à opter pour ce découpage (on suit l'itinéraire de 3 personnages, chacun étant le/l'héro.ine.s d'un chapitre, à tour de rôle) ?
La fragmentation des récits, que des brûlots parsèment manigancent un rythme implacable. Je ne voulais pas lâcher le lecteur, le tenailler jusqu'au bout de l'inexorable, chopper la tripe, la serrer. Cette inexorabilité, ce déterminisme est le revers de l'impunité lorsqu'elle étouffe toutes révoltes. Ce tandem cristallise le cœur du livre : la vengeance.
Les trois personnages centraux proposent trois réponses à cette tension, en raison des destinées, des idéaux, des volontés. Leurs explorations demandaient une fragmentation des récits.
« La science des nuisibles [...] », brûlot insurrectionnel dont il est fait mention en quatrième de couverture, traversant le récit tout le long, m'a immédiatement fait penser au Comité Invisible et plus encore. Quel a été l'inspiration et la raison pour laquelle tu as souhaité intégrer cette mythologie dans ce roman ?
Le caractère subversif des textes dont l'existence est sujette à caution est un excellent matériau. Pour certains, les autorités les traquent. Je pense au célèbre Tractatus de tribus impostoribus par exemple. C'est tout leur sel. Le sujet est passionnant, il embrasse la bibliophilie.
Par ailleurs, le livre dans le livre, le livre d'initié ou indécodable sont des nourritures de l'imaginaire. Il y a une tradition romanesque du livre fictif. On la retrouve évidemment chez Lovecraft (tout le monde connaît le Nécronomicon, poncé dans la pop culture pourtant ce sont les suivants, moins célèbres qui éveillent à présent la curiosité. Qui ne voudrait pas lire le Unaussprechlichen Kulten ?), chez Orwell, Asimov, Conan Doyle avec La Dynamique d'un Astéroïde de Moriarty ou le Practical Handbook of Bee Culture de Holmes, bref... On pourrait en causer des heures.
Le style que tu trouves proche de celui du Comité Invisible est ma tentative d'approcher ce que Debord appelle le "style insurrectionnel". C'était nécessaire à la crédibilité du texte.
La Science des Nuisibles, pamphlet et manuel, dont l'auteur est inconnu, s'engrammant au gré de ces utilisations, appelait cette forme.
Longtemps tu as évolué dans les milieux alternatifs (notamment les squats qui est le sujet de ton premier roman) peut-être est-ce le cas encore aujourd'hui. Cela a-t-il influencé ton écriture de quelque manière que soit ?
C'est difficile à dire. J'ignore la portée et la pertinence du regard que je porte sur les sujets que je traite.
Mon incapacité à faire de la littérature comme les vrais auteurs la font, le caractère prolo de mes textes, sans méthode sinon l'acharnement, ou mon illégitimité dans ce que je pense être "le milieu littéraire" sont sans doute des héritages et des conséquences du milieu alterno. Ça me convient très bien, je ne me sens tenu par aucun académisme.
Dans « Le Festin des porcs » tu as des mots très crus lorsqu'il s’agit de décrire certains personnages, dépeindre certains événements. Est-ce un choix, qui relève de la figure de style, ou est-ce pour toi une manière naturelle de t'exprimer (excuse la naïveté de ma question) ?
Il s'agit d'hybridation entre l'argot et du langage soutenu, par exemple en utilisant le Haïku. Le résultat est du fracas poétique. C'est ce que je recherche. La littérature française contemporaine m’intéresse assez peu. Je me sens incapable d'adhérer à une majorité de la littérature telle qu'elle est.
C'est pathétique, vaniteux peut-être, mais je fais ce que je peux pour ne pas participer de mon époque avec les erreurs et les errements que cela implique.
Heureusement, je ne parle pas comme j'écris. Écrire c'est aussi le temps de penser la forme, l'ajuster.
Ton roman a le mérite d'appuyer là où ça fait mal : les riches et les ultra-riches y prennent pour leur grade. Je me suis demandé si cela avait été pensé en amont ou si cela t'est venu naturellement à mesure que l'histoire prenait forme ?
La question que j'essaye de poser est moins celle des riches que celles de l'exploitation ou de la consommation d'autrui.
Les "riches" sont la quintessence de cette dévoration et l'objectif impensé à atteindre par chaque tyran de pacotille. Ils doivent sanctifier leur philosophie, leurs comportements, pour justifier d'embrasser le monde. Le seul horizon doit être le leur, c'est-à-dire total.
Lorsque le sociopathe est l'étalon du comportement à tenir c'est notre existence qui se joue. Le Festin Des Porcs c'est précisément le moment où la survie doit prendre le pas sur ce cannibalisme.
C'est un texte de fureur mais il est réfléchi dès le départ. C'est une canalisation de la fureur. Puis, la littérature doit être méchante, personne ne mérite qu'elle l'épargne.
Cela m'amène à la question suivante : que penses- tu des événements se jouant actuellement à l'Assemblée Nationale et dans les rues suite au projet de loi réforme des retraites que souhaite mettre en place l'exécutif en ce début d'année 2023 ?
Chacun partage son avis comme s'il le fallait que les avis se vaillent. Ce n'est pas mon champ de compétence. Mon opinion est une opinion de PMU, je la garde pour le PMU ou les petits comités.
Puis la question implique d'adopter des postulats à minima légalistes et si peu questionnés. Quelle assemblée ? Quelle réforme ? Pour quelle retraite ? Et quelle retraite pour quelle vie ? Une question qui m’intéresse de traiter est celle du pacifisme et de la souffrance, de l'abnégation finalement. Autrement dit, jusqu'où les « gouvernants » pensent-ils que cela peut tenir, dans quelle mesure se fourvoient-ils, sur quelles données hors sol s’appuient-ils -c’est à dire quels sont les biais auxquels ils sont soumis- et qu'elle peut être l'étincelle.
Le parti pris du Festin Des Porcs est de romancer que la révolte jaillit avant tout du quotidien.
Ceci dit, disparaître, rompre le lien, abandonner, s'extraire davantage que lutter n'est pas pour me déplaire. Mais voilà, pour perdurer, ce monde doit être absolu et ne rien permettre qui ne soit pas lui. Il ne laisse pas le choix, il saccage tout.
Tu m'as confié avoir organisé antérieurement des représentations publiques/lectures de ce polar avec des comédien.nes. Pourquoi ce dispositif et en prévois-tu d'autres prochainement ?
Le texte est vindicatif, il se déclame et fonctionne bien au “gueuloir”. La narration en plusieurs parties est idéale pour des comédiens. Ils sont preneurs de ce rythme, de ce ton, de cette foire aux émotions.
C'est une autre histoire mais de nombreux passages du Festin sont par ailleurs très cinématographiques.
Pour le moment nous ne prévoyons rien et ne nous interdisons rien.
Tu prépares un nouveau roman ? Pourrais-tu t’exprimer à ce sujet et je terminerai par cette question ?
C'est parce que la société galope qu'il faut prendre le temps d'écrire, de remplir des carnets de poésie. J'ai toujours plusieurs projets en cours. J'ai envie de faire de la SF, c'est un texte qui se pointe lentement.
Le souvenir, la nostalgie et la solitude sont les thèmes de mon prochain roman.
Bad to the Bone – Le Festin des Porcs – Andres Komatsu. Le Festin des Porcs, Yannick Bouquard – entretien de Andres Komatsu. Le Festin des Porcs, le roman de Yannick Bouquard est édité chez Goater Noir, paru en 2022.