La Beauté Du Sexe Est Un Cadavre
Les photographies de Yorgos Yatromanolakis sont issues du projet The Splitting of the Chrysalis & the Slow Unfolding of the Wings.
Une histoire inspirée de ces images a été écrite par Clément Milian
Compositions par Uzhur pour accompagner ce portfolio
Le corps avait été retrouvé au milieu des mégots et des vieilles bouteilles, à trente mètres du bosquet culte, tout près du vieux rocher contre lequel il s'abritait souvent pour fumer sans être dérangé par le vent.
Pierre y avait emmené Thelma, la meilleure amie de sa cousine. Ce soir ils comptaient perdre leur virginité : la vue du cadavre coupa net leur élan. La femme était pourtant très belle, avec ses longs cheveux tressés, sa peau blanche, sa robe de princesse viking. Elle avait la beauté mythique des peintures chrétiennes d'avant, et ses bijoux faisaient écho aux runes de ses tatouages. Pour Pierre et Thelma elle n'était pas déguisée : les feux de la Saint-Jean qui ramenaient ce mois les âmes de morts éclairaient le corps comme il fallait, et la vérité se tenait sous leurs yeux. Le légiste avait lui-même créé la surprise en affirmant que le corps de la femme dont la beauté sidérait devait être vieux de plus de mille ans, et qu'elle était recouverte de vêtements du même âge. On se moqua de lui. Le médecin fit comme tous ceux qui voient l'évidence mais dont la prétendue raison vient écraser les preuves : il se persuada d'une erreur. La nuit-même il rêva de fjords et de cérémonies des temps anciens peuplées de brasiers. Dans son rêve les immenses cheveux de la princesse, si blonds qu'ils en devenaient blancs, le noyèrent. Au réveil il nia en bloc.
Pierre et Thelma demandaient de ses nouvelles au médecin. Ce dernier qui était le père d'un ami lointain de Pierre, refusa de leur parler : les morts n'étaient pas une curiosité, et l'affaire devenait aberrante. Aussi, depuis la nuit passée, il peinait à respirer et ne voulait plus qu'on le dérange.
Pierre et Thelma s'étaient introduits dans la morgue le soir même. Ils avaient fait tous deux le même rêve de meurtre et de runes. Comme la nuit était brûlante, ils ne portaient qu'un tee-shirt et un short, et Thelma retenait ses longs cheveux roux d'un bandana de couleur blanche. A l'intérieur de la morgue une odeur chimique envahissait les couloirs : Thelma défit son foulard pour s'en masquer le nez. Pierre, lui, reçut l'odeur et toussa de dégoût. Ils allaient de boîte en boîte et finirent par trouver la princesse qui pourrissait dans la sienne ; la vieillesse du corps accélérait son déclin.
L'affaire venait d'être classée : anonyme, en quelque sorte ; une mort qu'on n'expliquerait point. Pierre et Thelma, eux, savaient qui elle était à cause des rêves qu'ils avaient su écouter. Trois hommes de son village, un soir lointain de Saint-Jean, l'avaient enlevée et violée. Pour ne pas être accusés et brûlés par le Roi, ils avaient caché son corps dans le néant au moyen d'un rituel culte ; et c'est ce néant qui, près de mille ans plus tard, venait de la recracher.
Ainsi le beau cadavre dont les lèvres et le nez tombaient déjà pour laisser place à un trou noir et à des dents pourries, montrait la vérité de ce qu'il avait subi. La princesse aux cheveux presque blancs et ses parures extraordinaires s'en retournaient, à cause du poids soudain des âges, au sol boueux.
Quand ils étaient sortis de la morgue Pierre et Thelma avaient aperçu dans la nuit de la forêt aux arbres noirs, d'autres feux qui commençaient spontanément de s'allumer à un mètre du sol. Ils croisèrent des moutons aux bêlements étranges, et même un paon qui brillait sous la lumière de la super lune. Emerveillés par ces apparitions qui offraient un grain de merveilleux à la terne campagne, Pierre et Thelma étaient retournés faire l'amour à l'endroit même où ils avaient trouvé le cadavre. L'idée de son viol et de sa mort les excitait. Ils sentaient le poids grave du danger. Nus, ils baisaient dans l'herbe noire et leur peau blanche brillait éclairée par l'âme en feu de la défunte.
Bientôt ils danseraient nus, heureux d'avoir joui malgré les maladresses certaines de la première fois. Ils ne savaient pas encore que l'âme meurtrie de la princesse avait élu en eux domicile, et qu'elle viendrait hanter leurs ébats jusqu'au jour de leur mort.
Chacune de leurs jouissances à venir lui serait absolument dédiée.
Mystic Mountains is a cycle dedicated to this strange place where our fantastic and dark memories are.
Mystic Moutains – La Beauté Du Sexe Est Un Cadavre – Texte Clément Milian – Photo Yorgos Yatromanolakis
Bad to the Bone has been founded and is published by Hervé Coutin