AKT, hymne des combats perdus
Le clip (auto-produit) AKT marque la collaboration qui s’avère à contre-coup si naturelle entre deux artistes indé :
Andres Komatsu, réalisateur, artiste bruitiste (LES ILES CHIENNES, BURROUGH) et visuel nourri de cinéma expérimental, et le musicien noise Méryll Ampe qui explore les corps sonores de l’ère post-industrielle.
Une vieille bande VHS grésillante est mise en route.
Les univers d’Andres Komatsu et Méryll Ampe démarrent leur conversation sur un même terrain d’entente : le médium analogique.
Pour Andres Komatsu, c’est la bande magnétique ; et pour Méryll Ampe des filtres, des oscillateurs…
Très vite la symbiose s’opère. Le montage vidéo fusionne avec la matière sonore et sa (dé?)structuration. Ils convergent pour créer un sentiment de crise, entre hypertension et continuité persistante, hostile.
Méryll Ampe est habitué de modeler des sons en s’imprégnant d’un tableau, d’une architecture ou en pluggant ses machines sur une émotion brute… Cette fois c’est Andres Komatsu qui le suit, partant du morceau existant de Méryll A., Evry night, qu’il digère et interprète visuellement.
Le morceau AKT compose sur des fréquences saturées, distordues. On imagine une antenne pirate captant difficilement un signal. Cette fréquence, envoyée par Méryll Ampe et ses machines, instaure un climat tendu, saccadée.
Entre mimésis son/image et extrapolation fictionnelle, le clip d’AKT, lui, débute sur une amorce de pilote. Ses entrées clés ? Commando, nuit, front, résistance, invisible.
Il joue sur les codes de la dramaturgie des fictions d’anticipation et nous plonge dans une atmosphère cyberpunk. Le sombre présage de Mark Downham sur la métastructure du pouvoir résonne dans nos têtes : « Nous avons déjà demain. C’est aujourd’hui que nous voulons ».
Des personnages en blousons noirs qu’on imagine ardents dans leur combat clandestin et loyaux mais dénué·es de sentiments, complètement désabusé·es, se succèdent.
Ce sont les protagonistes d’une intrigue vidée de sa substance. Reste le rythme hachuré et speed, la pesanteur, les caractères.
Musique et image s’alignent pour instaurer un sombre désespoir apathique mais enragé, un commando suicidaire.
Avec Andres Komatsu, réalisateur de Le Monolithe abandonné, les éléments non-humains comme les liquides, minéraux, oiseaux… ont leur propre agentivité. Ils opèrent une transformation, un changement de paradigme.
Le café noir se transmue en potion pour sortir de la cache et affronter l’extérieur. Le corbeau est messager, la source d’eau la vitalité qui coule dans les veines. Ce n’est pas tant que la nature se rebelle, elle constitue juste un autre territoire, un espace alien où il est possible d’échapper au système humain.
De même les sons abstraits, expressifs mais non-identifiables que produit Méryll Ampe nous plongent dans un autre régime de réel.
Les plans d’architecture urbaine défilent en marquant les bass et sauts de fréquences. Un orgue d’immeubles au chant venu d’ailleurs.
Le réalisateur tente l‘expérience visuelle de la saturation. D’une existence plongée dans le bruit assourdissant, dans le noir.
Les bouches crachent des nuages de vapeur toxique.
Les regards se perdent dans l’absence de perspective de la ville verticale.
Des signes semblent encodés dans le paysage (mot « fraternité », des clés qui se dessinent dans les motifs d’une barrière…)
Des êtres qui se cherchent et restent en même temps distant·es tissent un réseau de communication et symboles dissidents.
A un moment intervient une scène très lynchéenne, entre songe et perte du réel, quand la projection holographique d’Arianna, la protagoniste, apparaît sur un rideau de théâtre.
Les sonorités de Méryll Ampe sont hautement texturées, propices à la génération d’images mentales. On se laisse bercer par des rêveries de moteurs, des turbines, des signaux d’alarmes en panique. Un hachoir industriel. La panique globale d’une réalité enfumée par les émanations d’une métastructure poisseuse, ubique, vorace, semant le néant, dont la toute-présence est manifestée à travers ses spectres. Ceux de la paranoïa généralisée, de la surveillance invisible, et de ses ennemis : des réseaux de résistance éclatés, réduits à une sous-existence clandestine et sommaire et dont les actes de rébellion ont une tournure purement symbolique. Leurs gestes sont dénués d’impact dans l’immédiat. Comme Edvard qui part planter le drapeau noir dans un tunnel que personne ne verra, personne n’entendra… A moins que ce tunnel soit une voie vers quelque chose… ou que ces symboles n’opèrent un effet invisible…
Pendant que les plans s’enchaînent, la composition musicale nous chahute.
Les visions de forêt sont comme un échappatoire. Les pulsations montent d’un cran à leur apparition. Le pouls s’anime, reconnait ce qui le fait battre. Comme cette source qui coule effrénée.
Un terrain commun d’inspiration pour Méryll Ampe qui a beaucoup pratiqué le field recording et Andres Komatsu.
On assiste à un changement d’état, de l’existence urbaine, « civilisée » à l’existence sauvage.
Voilà ce que j’ai pensé d’AKT : une balade torturée et méditative dans des réseaux infravisibles.