L'enfant Mousse



Artwork : Fabrice Cazenave
Texte : Chloé Chevalier

L'enfant mousse,
Si le terme d'enfant-mousse, en référence aux enfants-sauvages des siècles passés, est communément utilisé au sein de la communauté scientifique comme dans la presse généraliste pour désigner l'entité découverte dans la forêt de ..., il convient néanmoins de s'arrêter un instant sur la pertinence – ou non – d'une telle analogie.
Après avoir peuplé les chroniques et l'imaginaire collectif de façon récurrente jusqu'au mitan du XXème siècle – avec une heure de gloire toute particulière pendant l'Âge d'Industrialisation, époque, il faut le croire, où la question du « propre de l'Homme » se posait de façon particulièrement aiguë – les enfants-sauvages ont par la suite, urbanisation galopante aidant, vu leur nombre décroître. L'orée du XXIème siècle n'en recense plus qu'un ou deux l'an à l'échelle mondiale, et encore tous les cas ne sont-ils pas vérifiés. Le phénomène disparaît alors complètement, avant de connaître une spectaculaire mais fort brève résurgence pendant les Années du Mycélium. Désormais, le strict cloisonnement de la faune à la compagnie domestique rend plus qu'improbable leur réapparition.
Enfant-loup, enfant-porc, enfant-lion, enfant-gazelle, enfant-chien, enfant-mouton, enfant-veau, enfant-babouin, enfant-lama, enfant-manchot, enfant-chat, enfant-boa, enfant-poney, enfant-kangourou, enfant-léopard, enfant-gorille, enfant-morse, enfant-ours, enfant-poule, enfant-toucan, enfant-pangolin, et même le très unique enfant-abeille qui déjà, à sa manière, annonçait une certaine transition civilisationnelle de l'individu au collectif, du terrier à la ruche, de la Conscience de Soi à l'Inconscient du Tout, chacun de ces enfants-sauvages s'est vu désigné par l'animal-tuteur, l'animal-parent, l'animal-guide, à qui il devait sa survie, son extraction hors du champ de l'humain, et l'essentiel de ses caractéristiques comportementales : l'alimentation, le mouvement, les sens, l'expression vocale, gestuelle, sexuelle et hormonale, la sociabilité... tout ce qui, en somme, fonde une espèce, et tout ce qui, également, permet la liaison entre les espèces.
Mais la mousse n'a pas élevé l'enfant-mousse. Si l'on n'ignore plus, désormais, que Bryophyta avait quelque conscience de l'enfant s'éveillant sur ses feuilles, on sait également qu'elle ne possédait à son égard nul désir d'interaction, nul élan de protection, d'éducation, d'affection. Mais pas davantage de crainte ou d'animosité. L'enfant-mousse, d'ellui-même, s'est consubstantialisé·e avec Bryophyta, s'est fait·e symbiote, empruntant sa chimie, calquant dans son derme l'action de ses rhizoïdes. La rosée, la lumière du sous-bois furent son lait, le tapis vert son lange comme son mamelon. L'enfant-mousse a atteint un degré de fusion avec son hôte auquel nul enfant-sauvage n'avait pu prétendre par le passé avec son animal-parent, qu'il soit mammifère, oiseau, reptile ou invertébré. En cela l'enfant-mousse ne se contente pas, comme le faisaient les enfants-sauvages, de nous rappeler que notre humanité demeure et demeurera toujours circonstancielle, mais iel rebat les cartes de notre rapport au vivant dans son ensemble.
Notre civilisation actuelle, et elle seule, a permis l'enfant-mousse, qui aussitôt s'en fit miroir, symptôme et trésor tout à la fois. Iel n'aurait pu croître en d'autres temps, car iel est notre temps. Verra-t-on bientôt éclore, dans nos serres, des enfants-orchidées ? Et sur nos montagnes à nouveau vierges, quelque enfant-edelweiss ?
 
 

L’enfant Mousse – Artwork Fabrice Cazenave – Texte Chloé Chevalier.

Space Faith. Science Fiction cycle. A quest in the deep space, feelings and nightmares. Curated by Hervé Coutin

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