La plus belle femme de nulle part



Artwork : Emir Šehanović
Texte : Clément Milian

Space Faith is a Sci Fi project curated by Hervé Coutin


La plus belle femme de nulle part,

Allongée sur le balcon de la villa de ses parents, seule dans l'immense propriété, elle regardait le ciel trop noir et la mer agitée qui tombait sur les rocs. La jeune femme portait un bikini rouge et une chemise blanche large et ouverte. La saison de mode venait de finir : elle avait ce besoin de solitude. Elle était la plus belle de toutes les femmes et la responsabilité lui pesait parfois. La comète était venue s'enfoncer dans la mer à six cent kilomètres d'ici mais la jeune femme avait ressenti les tremblements jusqu'à la terrasse : les rocs s'étaient fissurés sous ses pieds. En se levant elle avait senti le froid et recouvert ses jambes de son carré de soie décoré d'un dessin de Paolo Eleuteri Serpieri. Elle avait cherché son chien qui ne répondait pas. Des vagues délirantes se formaient et du ciel tombaient des amas éparses de pellicules et filaments de poussière dorée. Des heures elle resta à l'abris en regardant tomber les mailles qui ressemblaient à des guirlandes de feu et qui touchant la mer la faisaient bouillir. La terrasse, à leur contact, fondait. Les lumières semblaient mêler les choses entre elles, leur imposant des formes nouvelles.
 
Les lumières semblaient mêler les choses entre elles, leur imposant des formes nouvelles. Il faisait froid. Tout explosait. Elle avait peur. Son chien ne réapparaissait pas. Quand les filaments lumineux cessèrent de tomber, elle vit la terrasse avalée par la mer bouillante. La villa de ses parents s'était en partie confondue dans la terre qui la supportait et ressemblait à une sculpture d'art du siècle passé. La plus belle femme du monde, miraculeusement sauve, partit à la recherche de son chien en direction du petit bois qui donnait sur la plage. Elle découvrit un paysage de rouille, de feu et de sable rouge. Le sol n'était plus droit et lui coupait les pieds. Elle n'avait d'abord pas reconnu son aboiement : quand il ouvrait la gueule, son chien semblait grincer comme un vieux lit. Des lames et des tuyaux sortaient de sa peau, mais il vivait. De retour dans la villa de ses parents elle vit mieux dans le miroir du salon cette chose hybride qui n'était pas son chien mais qui n'était pas autre chose, accrochée à elle au moyen de tentacules de verre et de PVC. L'animal n'était pas blessé : il était transformé. La jeune femme saignait de le tenir et souriait en même temps, heureuse d'avoir retrouvé son ami. La plus belle femme du monde avait vu, sur la plage, d'autres fusions. Son téléphone listait des pluies d'images qui arrivaient du monde entier : chauve souris mélangée à quelque tuyau, grand ver de plastic, renard fait de pneus et jantes, fouine de rouille et de vieilles piles, algues à peau de rat et d'homme... Enfin d'autres surprises. Il y en avait de toutes sortes, et les humains, les arbres et le métal semblaient s'être mêlés pour former l'armée nouvelle des choses qui peuplent désormais la terre. Le monde avait changé.
 
 
Ses parents, qu'elle n'avait pas entendus rentrer, étaient restés coincés dans leur voiture lardée de filaments à quelques mètres seulement de la maison ; leur corps s'était emmêlé en un seul tas au châssis du véhicule autant qu'à leur portail d'entrée. En plus du langage humain ils parlaient désormais celui de la ferraille. La jeune femme se remit de ses blessures de surface et resta de toute l'humanité la seule personne immaculée, protégée de ces transformations universelles par le revêtement miracle du toit de la villa. Elle resta la plus belle femme du monde. Intacte, aussi, elle se sentait soulagée, car sa beauté ancienne n'avait plus de valeur dans le monde nouveau.
 

Artwork Emir Šehanović. Texte Clément Milian

Space Faith. Science Fiction cycle. A quest in the deep space, feelings and nightmares. Curated by Hervé Coutin

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